3 questions à… 3 ambassadrices du savoir-faire français

Portraits croisés de 3 femmes d’exception à la tête de 3 entreprises d’excellence françaises…

Audrey Regnier, dirigeante la Manufacture Bohin, dernier fabricant d’aiguilles et d’épingles de France, située à Saint-Sulpice-sur-Risle, un petit village de Normandie; Julie Bousquet-Fabre, codirigeante de la Savonnerie Marius Fabre fondée en 1900 à Salon-de-Provence; et, Edith Giffard, dirigeante de l’entreprise Giffard, spécialiste des liqueurs et sirops depuis 1885 et installée à Angers en Pays de la Loire.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Comment êtes-vous arrivée à la tête de votre entreprise ? 

Audrey REGNIER : J’ai été embauchée en 2010 pour participer au projet de création du musée de l’entreprise Bohin France. Je me suis battue contre le terme de « musée ». Ma volonté était de développer une visite de l’entreprise en activité et pas seulement un musée. Pour la région, ce projet était très important, il avait pour objectif de faire de la manufacture Bohin, la locomotive touristique du territoire. J’ai été amenée à construire le projet de B à Z avec l’aide d’autres corps de métiers que je coordonnais. J’ai adoré travailler sur ce projet, et je me suis beaucoup attachée à l’entreprise que je trouvais passionnante. Puis, en 2015, le Président de l’entreprise Didier Vrac partait à la retraite. Il y avait déjà eu un projet de reprise avorté. Un jour, il m’a proposé avec un grand sourire de reprendre le flambeau et j’ai accepté du tac au tac. A ce moment-là, ma situation familiale était un peu compliquée : je venais de faire ma 4ème fausse couche. Je suis tombée enceinte au moment du rachat de l’entreprise. Nous avons décidé avec mon mari de se consacrer à 100% sur cette deuxième grossesse et avons reporté le projet. Nous avons finalement racheté l’entreprise le 28 décembre 2017 avec mon mari Fabien. Aujourd’hui, j’ai trouvé un bon équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle.

Manufacture Bohin

Julie BOUSQUET-FABRE: La savonnerie Marius Fabre est une entreprise familiale, elle a été fondée par mon arrière-grand-père, c’est donc une transmission familiale. J’ai commencé par faire autre chose : des études de biologie puis une spécialisation en protection de l’environnement. J’ai travaillé 10 ans au service de l’environnement pour la construction du Parc Naturel Régional (PNR) des Alpilles en Provence. Ma mission était d’assurer le développement économique et social du territoire, tout en préservant son patrimoine naturel et culturel. A l’époque, c’était déjà très important pour moi de travailler pour la sauvegarde de l’environnement et des savoir-faire traditionnels de ma région, qu’ils soient agricoles, culturels, artisanaux. Puis, tout doucement, la question de la poursuite de l’entreprise familiale s’est posée. Au bout de 10 ans au PNR, j’ai eu envie de rejoindre ma sœur Marie et mes parents dans l’aventure familiale. Mes parents ont assuré la transition pendant quelques années pour nous transmettre ce savoir-faire traditionnel qui se transmet de génération en génération. Aujourd’hui, Marie et moi sommes codirigeantes de la savonnerie et la 4ème génération à la tête de l’entreprise puisque Marius Fabre était notre arrière-grand-père maternel.

Savonnerie Marius Fabre, tampon pour l'estampillage des savons ©AgenceCaméléon
Savonnerie Marius Fabre

Edith GIFFARD : Au début, je ne pensais pas rentrer dans l’entreprise familiale. Je n’étais pas spécialement attirée par les métiers commerciaux et j’avais le souvenir que mon père travaillait trop ! Je voulais être avocate, j’ai fait une maîtrise de droit pénal à Paris puis l’Institut de criminologie à Paris. A la fin de mes études, j’ai saisi une opportunité qui m’a fait changer de direction. J’ai intégré une société d’études, le Centre de Communication Avancée (CCA). Je me suis vue confiée une étude sur les styles de vies des français face aux médias. C’était un job étudiant qui devait durer 1 mois. Finalement j’y suis restée 6 ans. Puis à l’âge de 29 ans, j’ai eu un déclic, peut-être rattrapée par le parfum de menthe poivrée de mon enfance, j’ai rejoint l’entreprise familiale pour promouvoir la marque auprès de bars parisiens d’abord, puis en France et à l’international. A cette période, l’enjeu était de rendre aux liqueurs, alors considérées comme surannées, leurs lettres de noblesse. Pari réussi, aujourd’hui la liqueur y a toute sa place, que ce soit la Menthe-Pastille, produit historique, ou la gamme des Liqueurs Giffard utilisées dans les bars du monde entier. Cela fait maintenant 30 ans que nous sommes, mon frère Bruno et moi-même à la tête de l’entreprise Giffard. Mon fils, Pierre a rejoint l’entreprise en 2015 et ma nièce, Émilie vient de nous rejoindre en mai 2020. Ils sont la 5ème génération Giffard …Nous avons la chance de diriger une entreprise 100% familiale et de partager la même vision à long terme.

Giffard – Menthe Pastille

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier ?

Julie BOUSQUET-FABRE : Il y a beaucoup de choses qui me passionnent ! C’est un métier passion : passion pour ma région, la Provence ; passion pour le produit ; passion pour le procédé de fabrication du produit… Je suis passionnée par la dimension « savoir-faire ». C’est peut-être aujourd’hui la dimension la plus importante dans mon métier : de faire perpétuer un savoir-faire traditionnel qui permet de créer des produits uniques de grande qualité (écologique, naturel, fabriqué en France, en Provence avec de l’huile d’olive). Il y a aussi toute la dimension d’aventure humaine qui est très importante et qui fait tout l’intérêt du métier : de pouvoir travailler quotidiennement aux côtés d’une équipe impliquée et passionnée. 

Edith GIFFARD : Je pense que ce qui me passionne le plus c’est justement de poursuivre l’aventure familiale commencée par mon arrière-grand-père Emile Giffard en 1885. C’était un pharmacien curieux et inventif, en travaillant sur les vertus digestives et rafraîchissantes de la menthe, il a mis au point une liqueur de menthe, qu’il a testé auprès des clients du Grand Hôtel voisin de son officine pendant l’été très chaud de 1885. Le succès a été immédiat, il baptise alors sa liqueur Menthe-Pastille, décide de changer de métier, devient liquoriste et crée en octobre 1885 l’entreprise Giffard &Cie. En 2012, lorsque nous avons créé l’Espace Menthe-Pastille, un espace patrimonial et convivial pour accueillir le public, nous avons rassemblé toutes nos archives pour les inventorier. En faisant ce travail, nous avons retrouvé son journal dont je n’avais jamais eu connaissance, en 1885 il écrivait : « Je change de métier, l’avenir nous dira si j’ai eu raison ». C’était incroyable de lire ça 125 ans après ! Oui, nous produisons toujours la Menthe-Pastille avec sa recette secrète que nous nous transmettons de génération en génération. D’ailleurs, ce défi relevé mon arrière-grand-père m’a toujours porté. Pour moi, l’aventure doit se poursuivre, avec les valeurs fortes qui nous tiennent à coeur, mais chaque génération doit apporter sa pierre à l’édifice et relever ses propres défis.

Audrey REGNIER : Ce qui me passionne le plus c’est la création de projets. Je suis une femme de projets, c’est ce qui m’anime au quotidien. Que ce soit sur du développement de produits, sur la création de nouveaux supports de communication, sur la réorganisation des bureaux en interne… J’adore la nouveauté ! Ce que j’aime aussi vraiment c’est l’ouverture aux autres, ce que je peux apporter pour les faire grandir mais aussi apprendre des autres quand je discute avec les gens. En tant que dirigeante, j’ai cette grande chance de pouvoir me déplacer et d’échanger avec des gens d’horizons très différents. J’ai aussi la chance de pouvoir impulser pas mal de choses au niveau de mon entreprise : des projets, une manière de communiquer qui me permet de m’amuser et d’être créative (nldr : vidéo Bohin a sauvé Noël 2020).

Votre entreprise ouvre ses portes aux visiteurs. En quoi, la visite d’entreprise est-elle stratégique dans le développement de votre entreprise ?

Edith GIFFARD : Il y a 10 ans, quand je suis revenue m’installer complètement à Angers, je me suis rendue compte que nous avions fait connaître notre marque à l’international, nous sommes présents dans plus de 80 pays, mais que finalement nous n’étions pas assez connus dans notre propre ville. Nous l’avions presque négligée. Pour remédier à cela, nous avons décidé d’ouvrir notre entreprise aux angevins d’abord mais aussi aux touristes en créant l’Espace Menthe-Pastille, en référence à notre produit d’origine. C’était important pour moi de pouvoir faire entrer le public dans l’entreprise pour partager notre histoire, notre patrimoine culturel, notre métier de liquoriste, notre savoir-faire plus que centenaire… de les accueillir dans un espace convivial à l’image de nos produits et de créer un parcours de visite sur le site de production. J’ai tenu à ce que ce soit fait de manière professionnelle, c’est pourquoi nous avons créé, dès le début, un poste destiné à l’accueil des visiteurs avec Marion, tout juste sortie de l’ESTHUA et rapidement un deuxième poste avec Camille. La visite d’entreprise fait partie intégrante de la stratégie de notre entreprise, c’est un des vecteurs important de notre communication pour véhiculer notre image de marque.

L’Espace Menthe Pastille

Julie BOUSQUET-FABRE : Dans la visite d’entreprise, il y a une dimension pédagogique qui est très importante : montrer aux visiteurs tous les savoir-faire encore présents sur le territoire français c’est important et il faut le donner à voir. Cela permet de leur montrer d’où viennent réellement les produits, que c’est bien fabriqué sur place et qu’ils ont un vrai rôle à jouer en tant que consommateur. Auprès des enfants également pour leur faire découvrir le monde de l’entreprise de manière réaliste et positive afin qu’ils ne pensent pas que les seuls métiers existants en France sont ceux du tertiaire. Les secteurs primaires et secondaire, l’agriculture et la production sont aussi très importants, peut-être même encore plus maintenant car nous les avons délaissés ces dernières décennies. La visite d’entreprise c’est aussi stratégique pour nous car c’est notre meilleure carte de visite. Nous n’avons pas de budget publicitaire puisque nous sommes une petite entreprise familiale : ouvrir nos portes c’est, pour nous, le meilleur moyen de faire connaître notre savoir-faire et notre spécificité. On est une vraie savonnerie traditionnelle, c’est un lieu unique : les bâtiments, l’architecture, l’outil de production… Les visiteurs adorent et deviennent nos meilleurs ambassadeurs

Savonnerie Marius Fabre, maître savonnier à côté du chaudron de cuisson @Sagecommedesimages
Savonnerie Marius Fabre

Audrey REGNIER : Pour moi il y a un concept de vie fondamental qui dit qu’il « il faut d’abord regarder ce que l’on a avant de chercher ce que l’on n’a pas » et la visite d’entreprise résulte de ce précepte. Aujourd’hui, le fait d’ouvrir ses portes a un double impact : à la fois pour le consommateur qui peut connaître ce qui se cache derrière les produits, que ce soit la fabrication ou les salariés… et c’est un devoir de transparence ; mais aussi pour l’entreprise, car la visite d’entreprise remet constamment en question, le bien fondé de l’entreprise et son organisation etc. C’est presque un élément de « police interne » qui nous permet de nous interroger qui nous sommes et pourquoi on le fait.  

Manufacture Bohin

Plus d’informations ? RDV sur les fiches visites de la Manufacture Bohin, la Savonnerie Marius Fabre ou de Giffard.

Un grand merci à Julie, Edith et Audrey !

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